Antoine Sfeir, L’Islam contre l’Islam – L’interminable guerre des sunnites et des chiites
Article publié le 14/02/2013
Le mouvement dit des « révolutions arabes » commencé en 2011, et de manière générale l’instabilité, et en tout cas les difficultés politiques – focalisées depuis longtemps sur le conflit israélo-palestinien – ainsi que la présence d’enjeux économiques de première importance, ont donné et continuent à donner lieu, en Occident, à un nombre de plus en plus important d’analyses générales de la géopolitique du Moyen-Orient. Pour Antoine Sfeir, toutefois, la grille de lecture généralement utilisée par les auteurs de telles analyses est erronée : il s’agirait en effet de l’importation de catégories occidentales – celles de l’opposition entre « démocrates » et « intégristes », ou entre dictatures et démocraties – dans une région qui ne les connaît pas comme telles. Ce politologue franco-libanais, directeur-fondateur des Cahiers du Moyen-Orient et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, propose au contraire d’analyser ces événements – et, de manière plus générale, toute l’histoire et la géopolitique de la région – au moyen d’un critère proprement islamique : celui de la rupture entre sunnisme et chiisme. L’Islam contre l’Islam a pour objectif affiché d’aider à la compréhension de cette distinction fondamentale entre les deux branches principales de l’islam : pour ce faire, Antoine Sfeir consacre sa première partie à un retour sur les fondements historiques du chiisme, avant d’étudier les différences doctrinales qui séparent sunnisme et chiisme, ce qui est également l’occasion de montrer la diversité de ce dernier courant ; enfin, dans une troisième partie, il propose à partir de cette distinction une analyse de la situation géopolitique actuelle, et notamment de la place de l’Iran.
Explicitant son hypothèse de travail dans un « Avant-Propos » au ton volontiers polémique, notamment en ce qui concerne l’intervention des puissances occidentales au Moyen-Orient depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, Antoine Sfeir y replace les révolutions arabes de 2011 dans un cadre historique plus large, qui correspond au sous-titre de son livre : « l’interminable guerre des sunnites et des chiites ». Un rapide retour historique sur les événements fondamentaux de l’histoire du Moyen-Orient depuis 1945, de la création d’Israël à l’Égypte de Nasser et à la fondation de la République islamique d’Iran en 1979, marque les étapes qui mènent à la reprise de cette guerre identifiée par l’auteur, et dont il situe l’événement déclencheur en 1992, lors du massacre de la tribu chiite des Hazaras par le commandant Massoud dans le cadre de la guerre civile afghane. Depuis lors, la guerre entre sunnites et chiites aurait repris de plus belle, à travers des formes diverses : attentats, comme au Pakistan, guerre civile, comme en Irak, révoltes contre le pouvoir en place, comme à Bahreïn ou au Yémen. Pour Antoine Sfeir, les raisons de cette guerre s’articulent autour de trois socles, l’un religieux, le second ethnique et stratégique, et le troisième strictement politique. Cette reprise de la guerre entre sunnites et chiites, dans le cadre d’un sunnisme privé depuis 1924 d’une instance suprême en mesure d’imposer un dogme à tous ses disciples à travers le monde, et d’un chiisme fortifié par la nouvelle puissance iranienne, nécessite pour être compréhensible un retour sur ses fondements historiques, tant doctrinaux que factuels.
La première partie de l’ouvrage, intitulée « Aux origines du chiisme », est ainsi consacrée à l’origine historique du chiisme, qui remonte aux tout premiers temps de l’islam. Divisée en quatre chapitres ordonnés chronologiquement, elle couvre d’abord la période allant de la mort du Prophète aux premiers califes – c’est-à-dire la question de la succession de Muhammad et de l’instauration du califat –, puis le califat de ‘Alî ibn Abû Tâlib [1], associé à des « guerres fratricides » en raison de la résistance que lui opposèrent les Umayyades, qui revendiquaient le califat pour eux-mêmes. Cette période, connue sous le nom de « Grande Discorde », consiste en la confrontation de ‘Alî, soutenu par ses partisans, et de Mu‘âwiya, gouverneur de Syrie et membre du clan des Umayyades (ou Banu Umayya), avec pour prétexte l’assassinat impuni du précédent calife, ‘Uthmân, un Umayyade également. Antoine Sfeir montre à la fin du deuxième chapitre comment la victoire finale de Mu‘âwiya, si elle résulte d’un arbitrage, est perçue comme un coup d’État par les partisans de ‘Alî, d’autant plus que le nouveau calife instaure un principe dynastique et rompt ainsi avec la tradition du consensus médinois qui prévalait depuis la mort du Prophète. Le troisième chapitre de cette première partie, qui porte sur l’assassinat et la succession de ‘Alî, insiste sur la particularité du mouvement kharijite : anciens partisans de ‘Alî l’ayant déserté après l’arbitrage rendu lors de la bataille de Siffîn, en 657, en se fondant sur l’idée que le jugement n’appartenait qu’à Dieu, les kharijites prônent un islam rigoriste et s’opposent au concept de califat. C’est de leur fait que ‘Alî est assassiné en 661, permettant l’accession au pouvoir de Mu‘âwiya après l’éviction de Hassan, fils de ‘Alî. S’ouvre alors la première phase de persécution des chiites, c’est-à-dire des partisans de la cause alide – le mot arabe « shi‘a », d’où le chiisme tire son nom, signifie en effet « parti », et désigne ici précisément le parti de ‘Alî. Pour Antoine Sfeir, la dimension proprement religieuse de la mission dont se sent investi ‘Alî, et son attachement à la transmission de l’enseignement du Prophète ainsi que sa volonté d’unifier les croyants – unification religieuse avant d’être politique – sont des clés de compréhension du chiisme. Le dernier chapitre de cette première partie, enfin, est consacré au martyre de Hussein, deuxième fils de ‘Alî massacré avec toute sa famille en 680 lors de la bataille de Kerbala après s’être révolté contre le pouvoir umayyade : il s’agit là d’un deuxième élément fondateur du chiisme, commémoré chaque année par le rite de ‘Âshûrâ. Après cet échec définitif de la vocation politique du chiisme, les chiites développent le concept de taqiyya, ou dissimulation : dans la clandestinité, se met en place un mouvement d’interprétation des textes (ijtihad) parallèle à celui du sunnisme, et qui continue jusqu’à nos jours – alors que l’effort d’interprétation s’arrête, dans le sunnisme, au XIe siècle. C’est donc bien la naissance de la communauté chiite – dont Antoine Sfeir rappelle en conclusion qu’elle comporte trois niveaux, généalogique d’une part (quant à la succession du Prophète), théologique ensuite, et enfin politique.
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